L’exposition chronique d’un organisme à des doses infimes de certains polluants, peut-elle avoir des effets importants ? Posée depuis près de deux décennies aux toxicologues et aux évaluateurs du risque, cette question n’en finit plus de recevoir des réponses – positives – de la recherche académique. Les travaux menés des chercheurs du Laboratoire en cardiovasculaire, métabolisme, diabétologie et nutrition (Inserm, INRA et université Lyon-1) et publiés dans la dernière édition de FASEB Journal – la revue des sociétés américaines de biologie expérimentale – en sont une nouvelle illustration. Ces derniers montrent qu’un mélange de contaminants courants, à des doses fréquemment rencontrées dans l’alimentation humaine, aggrave significativement les troubles métaboliques induits par une alimentation trop riche.
Fruits, noix et verre sur rebord marbré, Johann Wilhelm Preyer, 1858
Les auteurs ont soumis des souris femelles à un tel régime « obésogène » associé à un cocktail de bisphénol A, de TCDD (une dioxine), de PCB 153 (un pyralène) et de DEHP (un phtalate). Elles ont donné naissance à des animaux qui, dès le sevrage, ont à leur tour été exposés au même régime alimentaire – contaminants compris. Ces animaux ont été comparés à d’autres rongeurs nés et nourris dans des conditions identiques, à ceci près que ni eux ni leur mère n’ont été en contact avec les quatre contaminants.
« Nous nous sommes placés dans les conditions que nous estimons les plus réalistes, les plus proches de la situation à laquelle l’homme est confronté, expliquent Danielle Naville et Brigitte Le Magueresse, qui ont coordonné ces recherches. D’une part, les doses que nous avons choisies pour chacune des quatre molécules est très faible, à des niveaux proches des doses journalières tolérables. D’autre part, nous avons choisi une exposition des animaux permanente, depuis le moment de leur conception, car les humains sont exposés en permanence, par leur alimentation notamment, à ce type de molécules. »
Un cocktail de perturbateurs endocriniens
Les quatre composants du cocktail sont tous des perturbateurs endocriniens avérés – des molécules capables d’interférer avec le système hormonal – mais appartiennent à des familles différentes, ayant des modes d’action distincts. « Généralement, ces molécules sont testées séparément, précise Mme Le Magueresse. Chose qui n’avait jamais été faite auparavant, nous avons évalué l’effet de leur mélange, tel qu’il peut intervenir dans l’alimentation humaine. »
L’effet mis en évidence par les chercheurs français dépend du sexe des rongeurs. Chez les femelles, l’exposition au cocktail de contaminants altère la capacité de l’organisme à réguler le taux de glucose dans le sang. Attention : par rapport aux femelles nourries avec un régime alimentaire équilibré, les femelles obèses présentent les signes de cette « intolérance au glucose », même en l’absence du fameux mélange de polluants. Mais lorsque celui-ci est ajouté, le trouble métabolique s’aggrave encore. Dans la population humaine, l’intolérance au glucose est l’une des composantes du « syndrome métabolique », qui accroît les risques de dabète de type 2, d’accidents vasculaires, etc.
Les auteurs apportent en outre une explication mécanistique au phénomène observé. Dans le foie des femelles exposées au cocktail, un gène (dit Sult1e1) est surexprimé et produit ainsi plus d’une enzyme impliquée dans l’inactivation des oestrogènes. Plus cette enzyme est abondante, plus le taux de ces hormones chute, dans le foie. Selon les auteurs, c’est le déficit de ces hormones qui accentue, chez ces rongeurs femelles, l’altération du métabolisme observée. De précédents travaux, conduits par Wen Xie (université de Pittsburgh, Etats-Unis) et publiés en 2012 dans la revue Diabetes, ont mis en évidence, là encore sur des souris femelles, cet effet « protecteur » des oestrogènes.
Chez les mâles c’est une autre histoire. Les effets, moins marqués, sont une altération du métabolisme du cholestérol.
Dans ces troubles, quelle est la part respective de chacun des quatre polluants du mélange ? Les auteurs ne peuvent le dire. Pas plus qu’ils ne peuvent savoir si les effets de chacun se cumulent, s’annulent partiellement ou se renforcent… « Néanmoins, nous avons démontré l’existence d’un effet induit par l’exposition à un mélange de très faibles doses de contaminants alimentaires, concluent-ils. Cette étude contribue à alimenter la réflexion sur la manière de repenser l’évaluation des risques, telle qu’elle est pratiquée à ce jour. »
Par Stéphane Foucart, Le Monde.fr