Posted by on 27 sept. 2013 in Presse |

Certaines personnes se disent « électrosensibles ». Mais cette pathologie n’est pas reconnue en France, la médecine peinant à expliquer leurs symptômes.

« Un instant, je vais chercher mon tissu… », prévient Emilie-Catherine, 45 ans, quand elle décroche son téléphone. Elle revient quelques secondes plus tard et on l’imagine la tête et le cerveau « protégés » par des voilages contenant des fibres d’aluminium.

Pour cette ex-architecte d’intérieur qui travaillait chez elle, tout a commencé quand, en décembre 2007, elle a mis en réseau plusieurs ordinateurs à son domicile. Aux difficultés de concentration et d’attention se sont ajoutées par la suite des migraines sévères. « Pour moi, le lien avec les champs électromagnétiques était évident, se souvient-elle. Dès que j’étais hors zone, j’allais mieux. »

Et puis tout s’est emballé : douleurs diffuses, paralysies des jambes, nausées…, la liste des symptômes s’est allongée. Depuis un an, cette mère d’un enfant de 7 ans a choisi de vivre au vert mais a perdu son travail, son compagnon, et sa vie sociale s’est réduite au minimum. Aujourd’hui, elle avoue s’inquiéter pour l’avenir et pour son fils. Emilie-Catherine n’est pas seule. Bénédicte, Véronique, Olivier, Sabine, Mathias et des centaines d’autres Français se présentent comme « électrosensibles » et tous souffrent incontestablement. A des degrés très divers.

Particulièrement atteintes, Bénédicte et sa sœur vivent en véritables recluses dans un village de Saône-et-Loire et tempêtent contre un calvaire quotidien qui dure depuis près de six ans. En lutte avec ses voisins équipés d’une liaison Wi-Fi, Bénédicte a acheté sur Internet des voilages et une cage de Faraday qu’elle a installée au-dessus de son lit. Elle ne les quitte plus ou presque. « Nous nous sentons comme des pestiférées et nous sommes prises pour des folles », témoigne cette ancienne professeure de lettres, elle aussi en invalidité. Olivier, 47 ans, vit à moins de 200 mètres d’une antenne-relais de téléphone mobile et ne se plaint « que » d’insomnie et de troubles de la mémoire. Depuis que, pour un millier d’euros, il a recouvert ses murs d’une peinture au graphite et tendu quelques voilages, il dit aller mieux.

Pour eux, l’ennemi est évidemment tapi partout : dans les téléphones sans fils ou portables, les ordinateurs, le Wi-Fi, les gadgets électroniques… Ce qu’ils veulent ? Un abaissement des normes d’émission et « des zones blanches – c’est-à-dire sans aucunes ondes – pour survivre », supplie Bénédicte.

Toutefois, le problème est que, jusqu’à présent, aucune recherche expérimentale n’a réussi à établir un lien causal direct entre les champs électromagnétiques (CEM) et les très nombreux symptômes présentés par ces personnes dites électrosensibles. Et les études de provocation, qui consistent à exposer ou non des volontaires, sont loin d’être significatives. Aujourd’hui, la seule réponse du corps médical se résume donc à orienter ces patients vers la psychiatrie et à leur proposer psychothérapie ou antidépresseurs. Une solution radicale souvent peu appréciée de ceux, qui, selon certains chercheurs, représenteraient jusqu’à 3 % de la population, comme en Suède.

Alors, qui s’intéresse en France à cette déconcertante troupe ? Personne. Sauf le Dr Dominique Belpomme, cancérologue (hôpital Georges-Pompidou, Paris) et fondateur de l’Association pour la recherche thérapeutique anticancéreuse (Artac). « Il y a quelques mois, j’ignorais tout de l’existence de ces personnes », explique-t-il. Tout a démarré en mai 2008, sur un plateau de télévision, suite à une rencontre imprévue avec un « électrosensible » suédois. Dans les jours qui suivent, sa consultation est envahie par des dizaines de « malades ». Vite débordé, il décide de former un groupe de travail au sein de l’Artac, et contacte d’autres scientifiques internationaux.

En quelques mois, ils analysent près d’une centaine de dossiers. Et finissent par décrire « une nouvelle maladie », le syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques (sicem), « une affection neuropsychologique » qui s’installerait en deux phases, estime le cancérologue. Une période inaugurale de stress cellulaire s’exprime selon une triade : des maux de tête, des troubles de la sensibilité se manifestant par des fourmillements, enfin des troubles de l’attention et de la concentration. Cette période, d’une durée variant de quelques mois à un ou deux ans, serait ensuite suivie par la phase d’état marquée, elle, par une insomnie, de la fatigue et une dépression. « Un peu comme dans la fibromyalgie, détaille le Dr Belpomme, mais sans douleur à la palpation des tendons et des muscles. Ce qui est nouveau, ce sont les critères objectifs, radiologiques et biologiques que nous avons identifiés. »

Un examen d’imagerie, un écho-Doppler pulsé cérébral et des analyses de sang et d’urine ont en effet été réalisés chez une quarantaine de patients. « Nous avons mis en évidence une baisse du débit artériel de certaines zones cérébrales. Un peu comme dans la maladie d’Alzheimer, mais dans le cas qui nous intéresse, nous espérons, bien sûr, que ces lésions seront réversibles », annonce le cancérologue. Quant aux analyses, « elles ont permis de tracer une baisse de mélatonine dans les urines de 50 % des malades. Dans le sang, on a trouvé une augmentation d’une protéine de stress, HSP 27, et ce jusqu’à 10 fois les valeurs normales ». Le Dr Belpomme voit en ces indicateurs la signature biologique d’un stress cellulaire dû aux CEM.

Deux pistes se dégagent : la première est génétique, la seconde est celle d’une origine acquise

L’Artac s’interroge sur les causes de ces anomalies. Pour l’association, deux pistes se dégagent. La première serait génétique. Car parmi les 150 cas recensés par l’association, plusieurs appartiennent à une même famille dont les membres vivent dans des lieux différents. Simple hasard ou susceptibilité familiale ? « Notre tissu cérébral renferme des magnétosomes, des aimants naturels, qui pourraient être impliqués », détaille le scientifique. Reste donc à savoir si certains individus seraient plus sensibles que d’autres…

Seconde piste à creuser selon l’Artac, celle d’une origine acquise, en lien avec les amalgames dentaires : l’idée est que les amalgames et le mercure qu’ils contiennent conféreraient une plus grande sensibilité aux CEM. Un lien pour l’instant non confirmé. Et surtout polémique, les uns innocentant les amalgames, les autres persistant dans leurs accusations. Pour Nicolas Thevenet, membre du groupe de travail sur les amalgames dentaires à l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) – qui a créé depuis 2006 un réseau de consultations spécialisées proposant examen dentaire et dosages biologiques à ceux qui s’estiment « intoxiqués » –, « aucun électrosensible ne s’est manifesté et aucun lien causal avec le mercure n’a été retrouvé ».

Alors, comment sortir de l’impasse ? « En intensifiant les recherches », insiste Olle Johansson, scientifique suédois de l’institut Karolinska, engagé de très longue date dans le combat anti-ondes. Dans le nord de l’Europe, c’est en 1987 que ceux que l’on nomme les « électrohypersensibles » (EHS) se sont regroupés. Ils ont tiré le signal d’alarme dès 1994 et seraient aujourd’hui près de 290.000. Là-bas, la conception du handicap est avant tout environnementale.

Résultat : « depuis dix ans, l’électrohypersensibilité y est reconnue en tant qu’infirmité physique. Mais attention, il ne s’agit pas d’une maladie mais d’un handicap », insiste le Pr Olle Johansson. Conséquence : tout a été mis en place pour que les électrosensibles aient, comme les autres, accès à une vie la plus « normale » possible. En pratique, des aides financières et techniques leur sont proposées pour assainir leurs logements (peintures spéciales…). Sur les lieux de travail, il est possible d’obtenir des employeurs des équipements particuliers (ordinateurs à faible émission, lampes ordinaires, téléphones filaires). « Certains hôpitaux ont même construit des chambres spéciales à très faible intensité de CEM pour les soins médicaux », détaille Olle Johansson. Retour plus près de nous, en Belgique, avec Marion Crasson, coordonnatrice d’un groupe de travail à l’université de Liège qui réalise une étude sur un groupe de malades : « Les électrosensibles sont incontestablement plus réactifs que les sujets témoins à un quelconque stress, environnemental mais aussi visuel ou sonore. » Reste à savoir si l’explication n’est que psychologique… Pour l’instant, les recherches belges en direction d’une susceptibilité génétique n’ont rien identifié.

En attendant d’en savoir plus, les « zones blanches » s’imposeront-elles comme la seule alternative ? Le risque serait alors de voir se constituer des espèces de ghettos. Le Pr Johansson évoque, lui, une Suédoise électrosensible heureuse d’avoir ainsi découvert une vie saine et plus naturelle…

Par Sylvie Riou-Milliot Sciences et Avenir